Pierre GRANDJEAN, consultant en espaces de travail, ex Directeur Commercial chez Kinnarps

Pierre GRANDJEAN : Je suis ex Directeur Commercial de Kinnarps et consultant en espaces de travail. J’ai eu environ 15 années de Direction Commerciale dans le domaine du mobilier de bureau : 5 ans pour Kinnarps et 10 ans pour un autre fabriquant français. Auparavant j’ai effectué des fonctions de vente, de direction marketing et de direction commerciale dans le domaine de l’informatique et des télécommunications. Cela me permet d’associer ces deux mondes, qui, par bien des côtés, sont complémentaires et sont à prendre en considération dans notre panorama, qui est l’espace tertiaire.

WINLASSIE : POUVEZ-VOUS NOUS PRÉSENTER KINNARPS, SA STRATÉGIE, ET VOTRE MISSION AU SEIN DE L’ENTREPRISE ?

Kinnarps est une filiale du groupe suédois du même nom, le n°1 Européen des mobiliers de bureaux. Il a été fondé il y a environ 80 ans et demeure une propriété familiale. Dès l’origine de la création, le tout premier meuble a été travaillé et pensé avec des ergonomes afin d’améliorer sa proposition vis-à-vis du gouvernement suédois. Depuis cet appel d’offre remporté, il a toujours associé des ergonomes à la création des différents produits qui ont existé par la suite. Kinnarps en France réalise environ 40 millions d’euros de Chiffre d’Affaires et dessert des grandes entreprises telles que EDF, Airbus, La Poste, Groupama, Sopra Steria. La particularité de Kinnarps est d’avoir étudié en profondeur, depuis presque 10 ans, les mutations des conditions et espaces de travail, pour déceler des tendances et accompagner la réflexion sur les new way of working. C’est un domaine d’expertise que j’ai développé pour Kinnarps France. C’est à ce titre que je suis très au fait de ces nouvelles tendances et des impacts que cela peut avoir sur l’ensemble des comportements.

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COMMENT ÉVOLUENT LES ESPACES DE TRAVAIL AUJOURD’HUI ?

On va rencontrer 3 typologies dans les aménagements d’espaces tertiaires :

  • Les espaces cloisonnés, l’ancien bureau individuel. Il demeure la majorité des espaces de travail sur l’ensemble du parc.
  • L’open space, qui a connu son apogée en l’an 2000. On a vu les troubles que cela pouvait initier et créer.
  • Les espaces partagés, des open spaces à taille humaine, à taille d’équipe ou de service. On est entre 10 et 15 collaborateurs, mais avec un lien très étroit entre eux car on appartient au même métier.

La dernière tendance est d’aller vers des espaces beaucoup plus dynamiques, qu’on appelle le Flex Office. On vient dématérialiser le poste individuel pour donner un menu d’espaces qui soit accessible à tous les collaborateurs. Chaque collaborateur, en fonction de son activité et de la période de la journée, peut choisir tel ou tel espace. Il va être plus libre de ses mouvements. Ces nouvelles tendances sont propices aux attentes des entreprises actuelles que sont la collaboration, la créativité, l’innovation et la socialisation.

QU’EST-CE QU’UNE BONNE POSTURE DE TRAVAIL AU BUREAU ?

Le siège ergonomique

Une bonne posture de travail au bureau est avant tout une posture qui n’est pas statistique. Elle va pouvoir varier au fil de la journée et des activités. Une bonne posture de travail statique, assis devant son poste de travail, commence par un siège ergonomique. Il doit bénéficier des différents réglages de la hauteur, de la tension et de la bascule du dossier. Il doit avoir des accoudoirs réglables dans différentes positions, en largeur, hauteur et enfin une translation de l’assise pour être correctement assis et ne pas avoir de contraintes par rapport à une partie très sanguine, appelée le creux poplité. On doit respecter les angles, avoir un soutien lombaire.

On va avoir des amplitudes de taille qui vont varier entre 1m60 et 1m90 dans l’entreprise, avec des collaborateurs qui sont de tailles et de corpulences différentes. Il faut pouvoir s’adapter. C’est le travail du siège, de s’adapter à la morphologie de chacun.

Le bureau

Au-delà du siège, on doit trouver un plan de travail qui va s’adapter exactement. Je dois pouvoir l’ajuster par rapport à moi pour faire en sorte que je sois parfaitement installé et en concordance avec ça. Je dois ensuite pouvoir régler mes écrans, à hauteur du champ visuel, pour ne pas avoir de fatigue au niveau de la nuque. J’ai ensuite mon clavier, avec mes bras qui reposent sur mes accoudoirs. Ainsi, je suis parfaitement dans une bonne position pour pouvoir travailler sereinement.

Faire évoluer son espace de travail

On doit pouvoir faire varier cette posture, car si on reste comme ça on va ankyloser les muscles et dégrader la santé et certaines fonctions essentielles que sont par exemple la digestion. C’est très important de pouvoir être mobile. On va pouvoir passer dans une position debout. Pour ne pas se casser le dos, il va falloir bénéficier d’un poste réglable en hauteur, avec des pré-réglages potentiels comme ce poste là. Je vais pouvoir remonter mon poste de travail, de sorte à être exactement à la hauteur souhaitée pour respecter mes angles et avoir un champ visuel adapté.

C’est un poste qui permet d’avoir de la collaboration tout à fait spontanée qui n’était pas programmée mais qui permet de faire avancer. C’est très participatif à l’innovation car on a plusieurs points de vue, qui peuvent être partagés. Cette posture debout est importante car l’Homme est fait pour être debout plutôt qu’assis.

Cette position assise a été grandement développée à l’arrivée des micro-ordinateurs. Aujourd’hui, avec les portables, ce côté statique est moins nécessaire. Il faut donc faire évoluer le poste de travail pour faire en sorte qu’on s’adapte en permanence aux outils technologiques qui nous sont mis à disposition. Ce qui était statique aujourd’hui doit devenir mobile. Avec les portables, les tablettes et les smartphones on voit que l’ergonomie est en train d’être modifiée.

La chaise

La chaise ergonomique n’est pas la meilleure pour toutes les situations. Si on a son propre poste de travail, on a intérêt à régler au plus fin ses propres réglages. En revanche, si on est sur des postes de passages, avec plus de flexibilité, on a besoin d’un siège qui soit rapidement optimal pour l’individu qui vient s’y installer. C’est le rôle d’un autre siège qui est semi-automatique. Celui-ci va convenir à 90% des personnes. Que ce soit en terme de taille ou des corpulence, on a des accessoires qui sont réglables, la hauteur également. On a un confort immédiat. Le mécanisme vient s’ajuster automatiquement.

De nouveaux besoins

Les attentes des collaborateurs sont un peu différentes aujourd’hui. Elles sont vers des espaces plus dynamiques, flexibles et diversifiés. Le collaborateur veut revenir au travail pour vivre une autre expérienceavoir plus de sens dans son aménagement. Il souhaite collaborer, partager et échanger avec ses collègues de manière différente. C’est le rôle de ces espaces plus formels, permettant des réunions d’équipes et des échanges plus structurés. On a aussi aujourd’hui des espaces plus informels, où le débriefing va s’opérer de manière différente. On ne se dira pas la même chose et on sera plus ouverts pour pouvoir évaluer les modifications à apporter, les améliorations, ce qui n’a pas bien fonctionné, ce qui a bien fonctionné, que dans un espace très formel de salle des réunion classique.

L’ergonomie des postes de travail doit s’adapter, doit suivre les usages et les manières d’investir les lieux et les évolutions de ceux-ci. Voici tout l’enjeu de l’accompagnement des entreprises par rapport au Next Office Concept.

UN MOBILIER ERGONOMIQUE PEUT-IL ÊTRE APPROUVÉ PAR LA MÉDECINE DU TRAVAIL POUR ÉVITER LES TMS ?

L’ergonomie vient de « ergo » et « nomos » qui signifient, en grec, « travail » et « loi naturelle ». C’est le lien entre la meilleure attitude possible pour effectuer une tâche, quelle qu’elle soit et dans n’importe quel domaine. Ce lien entre les lois naturelles du corps et le travail est essentiel, car si on le contrarie on risque de générer un certain nombre de Troubles Musculo-Squelettiques (TMS) mais pas seulement. Une mauvaise posture peut engendrer un stress, qui lui-même peut engendrer une démotivation jusqu’à la dépression. À l’inverse, en étudiant correctement cette relation entre le travail et les lois naturelles, on peut engendrer de l’engagement et de la motivation et donc de la performance au total.

Cette science de l’ergonomie a été initiée dès l’Antiquité. Plaute a commencé à étudier ces aspects là. En 1850 on a vécu une révolution, avec la notion même d’ergonomie qui s’est révélée. Elle a été particulièrement industrialisée par Taylor. Il a cherché à mécaniser le plus possible les gestes par rapport à la tâche à effectuer.

Les deux guerres ont successivement permis des avancées importantes en matière d’ergonomie puisqu’il fallait aller vite, augmenter les cadences. L’industrie s’est vraiment emparée de cette nouvelle notion. C’est finalement Le Corbusier qui l’a introduite à l’intérieur des espaces de vie avec son concept Modulor. Aujourd’hui, ce concept est totalement rentré dans les espaces de travail.

La Scandinavie est plus avancée sur ces notions là. C’est dès 1950 que l’ensemble des espaces de travail a vu la notion d’ergonomie rentrer, car le bien-être des salariés et des collaborateurs était au coeur des préoccupations des entreprises. Chez Kinnarps, le bien-être des salariés, l’ergonomie et le développement durable font parties des 3 valeurs fondatrice de cette entreprise, qui demeurent au fil des ans.

LA CRISE DU COVID A-T-ELLE UN IMPACT SUR LES ESPACES DE TRAVAIL ET SUR LEUR ERGONOMIE AU SENS LARGE ?

La crise du Covid vient bouleverser le monde du travail. Il y a plusieurs répercutions :

  • Sanitaire, avec la distanciation à l’intérieur des espaces. On ne peut plus les occuper avec la même densité. De la même manière que dans les magasins on comptabilise les gens qui rentrent et sortent, en entreprise on a également cette notion de jauge à respecter et de distanciation entre les collaborateurs.
  • Le télétravail. L’impact du Covid a été d’inciter les gens à rester chez eux. Il y a un impact évident d’un point de vue ergonomique. Les salariés ont trouvé des limites à l’installation, dans la douleur, d’un poste de télétravail. Aujourd’hui on va beaucoup plus sur l’ergonomie des postes de télétravail corrects avec des assises, des plans de travail, etc.

À l’intérieur de l’entreprise on va travailler différemment, dans différents espaces. On a introduit plus de flexibilité dans le mode de travail que les collaborateurs vont effectuer. Cette flexibilité est en fait génératrice de gain de santé pour les collaborateurs. Donc ça a du bien-fait également.